Église verte

Le monastère orthodoxe de Solan, dans le Gard, est un pionnier en matière d’agriculture biologique. Les sœurs ayant été elles-mêmes formées à diverses techniques, elles ont organisé plusieurs sessions de formation en 2018, 2019 et 2022 à destination d’autres monastères, animées par des formateurs de Terre & Humanisme, auxquelles ont participé plusieurs monastères catholiques engagés dans la démarche Église verte (Taulignan, Drôme & Paix-Dieu, Gard). Découvrez le récit de sr Iossifia rendant compte de la genèse et du déroulé de ces riches sessions !

 

Le fondement théologique de l’engagement de Solan dans l’écologie

Dans la fidélité aux Pères de l’Église, toujours attentifs à la dimension cosmique du dessein de Dieu, le Patriarcat Œcuménique de Constantinople, auquel notre monastère est attaché, accorde une grande importance à la question écologique. Le précédent Patriarche, Dimitrios, avait dès 1989 instauré la journée de prière pour la Sauvegarde de la création, le 1er septembre, date qui marque aussi le début de l’année liturgique chez les orthodoxes. Sa sainteté le Patriarche Bartholomée, son successeur, a insisté à plusieurs reprises sur le caractère central de cette question. Ainsi, par exemple, dans son message du 1er septembre 2019 :

L’intérêt que le Patriarcat œcuménique porte à la protection de la création n’a pas été suscité en tant que réaction à la crise écologique contemporaine, il n’en est pas issu. C’était simplement le prétexte et l’occasion pour que l’Église exprime, développe, proclame et mette en relief ses principes écophiles. La sollicitude stable de l’Église envers l’environnement naturel a pour fondement son identité ecclésiologique elle-même et sa théologie. Le respect et la protection de la création font partie intégrante de notre foi, constituent le fond de notre vie dans l’Église et en tant qu’Église. La vie même de l’Église est synonyme d’« écologie vécue », de respect réel et de soin de la création, source de ses actions écologiques. Fondamentalement, l’intérêt que l’Église porte à la protection de la création est un prolongement de la divine Eucharistie, dans toutes les dimensions du rapport qui la lie au monde. La vie liturgique de l’Église, sa morale ascétique, sa diaconie pastorale, le vécu fait de croix et de résurrection des fidèles, le désir inassouvi d’éternité, bref tout cela constitue une communauté de personnes pour laquelle la réalité naturelle n’est pas un objet matériel servant à satisfaire les besoins de l’individu et de l’humanité. C’est un acte, un fait, un ouvrage du Dieu personnel, lequel nous invite à le respecter et le protéger, en nous « associant à son œuvre », en devenant « gérants », « gardiens » et « officiants » de la création, à cultiver une relation eucharistique avec celle-ci.

Dans la vie de l’Église, le souci pour l’environnement naturel n’est pas une activité supplémentaire, mais une manifestation essentielle de celle-ci. Dépourvu de caractère séculier, il est purement ecclésial ; c’est un « service liturgique ». Toutes les initiatives et actions de l’Église sont de l’« écologie appliquée ». Dans cet esprit, l’écologie théologique ne consiste pas uniquement à développer une sensibilité écologique ni à résoudre les problèmes environnementaux sur la base des principes de l’anthropologie et cosmologie chrétienne. Elle s’étend aussi au renouveau en Christ de la création tout entière, telle que celle-ci est réalisée et vécue dans la divine Eucharistie, en tant qu’image et avant-goût de l’accomplissement eschatologique de la divine Économie dans la plénitude et lumière doxologique du Règne de Dieu.

A Solan, une démarche de mise en pratique, avec l’aide de la Providence

C’est dans cet esprit que le monastère de la Protection de la Mère de Dieu, dès son arrivée à Solan (Gard), en 1992, entreprit de cultiver la terre d’une façon respectueuse du vivant, dans le but, toujours, de donner une voix à la création pour qu’elle chante la gloire de Dieu.

Lancées dans cette aventure avec beaucoup d’enthousiasme mais très peu de compétences, nous nous retrouvâmes rapidement en grande difficulté et c’est au sein de cette épreuve qu’eut lieu une rencontre providentielle avec Pierre Rabhi, devenu un soutien indéfectible jusqu’à son décès en décembre 2021.

Au fil des années, allant d’errances en expérimentations, de surprises en découvertes, une certaine expérience dans le domaine de l’agroécologie fut acquise, grâce aux nombreuses personnes-ressources que la Providence a mises sur notre chemin, dans le sillage de Pierre ou par d’autres chemins dont elle a le secret.

Premiers échanges d’expérience

En 2007, au moment où la Roumanie entrait dans l’Union Européenne, l’Église orthodoxe roumaine entama une réflexion sur le devenir de ses terres et l’avenir de la paysannerie, toujours dans le cadre des valeurs qui sous-tendent notre vision de la création. Pierre Rabhi fut invité à Bucarest, une association se créa ; l’année suivante, c’est une délégation roumaine qui se rendait en France pour des échanges variés, dont une journée très dense à Solan. Malheureusement, les fossés linguistiques et culturels, les attentes divergentes et des facteurs divers firent que cette initiative roumaine ne put aboutir.

En 2009, sœur Dominique, prieure de la communauté dominicaine de la Clarté Notre Dame, à Taulignan (Drôme), vint participer à la journée de la sauvegarde de la création[1], où elle fit la connaissance de Pierre Rabhi (dont elle avait déjà entendu parler par un frère dominicain dont le frère le connaissait). Puis en 2010, au moment où un changement de chaudière les obligea à repenser les sources d’énergie, une équipe de sœurs revint, cette fois pour une visite technique à notre chaudière à bois déchiqueté. Soucieuses de soigner leur terre, inspirées aussi par nos démarches, les dominicaines de Taulignan se penchèrent sur l’agroécologie, et mirent en place des pratiques vertueuses. Une amitié se créa, dans la commune recherche du visage du Seigneur, et aussi dans ce projet de vivre avec la terre, la soignant et se laissant soigner par elle.

Quelques années plus tard, les sœurs de Jouques (13) prenaient contact avec nous dans ce même esprit – le mobile premier étant l’agencement de l’atelier de confiturerie, ce qui n’était que la pointe de l’iceberg…

Une formation aux Jardins vivriers en agroécologie

En 2017, à l’initiative d’un groupe de moines et laïcs interpellés par Laudato Si’,  une session de sensibilisation à la permaculture eut lieu à la Ferme du Bec Hellouin, à laquelle participèrent plusieurs monastères. Quelques communautés, qui n’en étaient plus à la sensibilisation, mais au stade de la confrontation avec de multiples interrogations lors de la mise en œuvre, sollicitèrent notre Higoumène, Mère Hypandia, qui se trouvait à cette rencontre, pour l’organisation d’une nouvelle session, cette fois-ci « pratico-pratique » sur l’application de l’agroécologie dans les jardins des monastères.

L’idée fit son chemin, et finalement, une première formation eut lieu au Monastère de Solan du 5 au 9 novembre 2018. Cette initiative venait combler un vœu de Pierre, qui depuis longtemps nous demandait de partager notre expérience. Après les difficultés rencontrées en Roumanie, l’idée de le faire en France l’enchanta.

 

Le Fonds de Dotation Pierre Rabhi participa généreusement aux frais pédagogiques et logistiques, complétés par L’Association Les Amis de Solan (une association loi 1901, non confessionnelle, qui soutient le monastère dans sa démarche de gestion patrimoniale du domaine, depuis 1995).

Plusieurs monastères catholiques et orthodoxes purent bénéficier des bons enseignements d’Olivier Hébrard, Valo Pascal Dantine et Clément Doche, tous trois formateurs à Terre & Humanisme, une association qui œuvre depuis 1994 à la diffusion des pratiques agroécologiques. https://terre-humanisme.org/

Voici les communautés représentées :

  • Abbaye Sainte Marie de Boulaur, Gers (cisterciennes – o.cist.)
  • Abbaye Notre Dame de Fidélité de Jouques, Bouches-du-Rhône (bénédictines)
  • Monastère de la Paix Dieu, de Cabanoule, Gard (cisterciennes – o.c.s.o.)
  • Abbaye Notre Dame de Miséricorde, Rosans, Hautes-Alpes (bénédictines, fondation de Jouques)
  • Monastère La Clarté Notre-Dame de Taulignan, Drôme (dominicaines)
  • Monastère du Carmel d’Uzès, Gard
  • Monastère de la Nativité de la Mère de Dieu de Bois-Salair, Mayenne (orthodoxes)…
  • et Solan !

Pierre Rabhi se fit un plaisir de venir le premier jour ouvrir les travaux et donner une vue d’ensemble, à sa façon inégalée, sur la relation entre l’homme et la terre. Un tour de table permit à chacune des communautés de présenter sa réalité, ses questionnements et ses attentes, et Mère Hypandia présenta l’histoire de Solan avec ses multiples rebondissements.

Ensuite, ce fut un après-midi animé par Olivier, sur la notion d’agroécologie et la vision globale que cela implique. En effet, que cela soit à l’échelle d’un simple potager, ou plus largement à l’échelle d’une ferme, il est avant tout utile de placer toute démarche agricole dans un cadre holistique, de manière à appréhender et tenir compte au mieux des interactions entre les différents éléments, et de prendre de la hauteur par rapport aux connaissances théoriques et pratiques qui seraient transmises les jours suivants de la formation. La démarche agroécologique fut déclinée selon les dix champs suivants :

  1. Valeurs paysannes et philosophie ;
  2. Économie : construire un modèle résilient ;
  3. Un sol vivant : nourrir le sol, pas les plantes
  4. La biodiversité : favoriser les mécanismes de régulations naturelles ;
  5. La santé des plantes ;
  6. Végétal et semences : diversifier le patrimoine ;
  7. L’eau : gestion optimisée ;
  8. Agroforesterie : l’arbre  » multi-services  » ;
  9. L’animal : un rôle essentiel ;
  10. Ancrage territorial et mise en réseau.

(Deux autres points importants, l’énergie et l’habitat, furent à peine survolés, faute de temps, mais restent mentionnés comme partie intégrante d’une démarche qui se veut le plus globale possible).

Le lendemain et le surlendemain, Valo et Clément aidèrent le groupe à approfondir ces divers points et à envisager des mises en œuvre concrètes, principalement dans le cadre du maraîchage.

Pour ne pas parler « en l’air », mais « en terre », les participantes avaient toutes reçu, avec leur inscription à la session, un protocole de carottage pour que chacune apporter un échantillon de sol de son terrain, sans que les couches ne soient mélangées, et qui soit transporté bien enveloppé dans un tuyau PVC. La mise en œuvre de ce protocole s’avéra avoir été assez difficile, et les récits des déboires des apprentis-pédologues lors des carottages donna lieu à bien de rires ! En salle, chacune a « déballé »  son sol. L’exercice consistait alors à examiner les carottes et les comparer. La composition, la texture, la perméabilité, furent ainsi mis à jour, avant que cette terre soit évacuée de la salle. On aurait voulu faire un trou, mettre ces terres mélangées dedans et y planter un arbre. Mais la météo pluvieuse, les sols détrempés et le manque de temps empêchèrent ce beau projet agro-œcuménique de se réaliser.

Le jeudi, où heureusement enfin il faisait beau, fut le jour des travaux sur le terrain, où les habits noirs, blancs, bleus et marron s’affairèrent autour d’un magnifique tas de compost, fait selon les règles de l’art par des mains monastiques.

Le vendredi, arriva le jour tant attendu sur la santé des plantes et les différentes méthodes de lutte contre les indésirables. Valo donna alors diverses recettes, complétées par celles que nous concoctons ici à Solan.

Le bilan de cette semaine fut très positif, aussi bien en terme d’acquisition de connaissances techniques qu’en termes d’amitié et de création de dynamiques.

Voici quelques témoignages des participantes :

« Je ne voudrais pas tirer de conclusions hâtives, mais étant données les participantes, il semble que les moniales aient plus le souci du travail de la terre que les moines ! … J’avais beaucoup d’attentes agricoles en venant à cette session. Elles ont été largement satisfaites, grâce à la qualité de l’enseignement reçu. J’essaie de m’en imbiber pour  le transmettre à mes sœurs et que nous réfléchissions ensemble aux solutions applicables à notre situation propre. Ma tête ressemble encore à ces bocaux d’analyse de terre, remplis d’eau et secoués pour distinguer les divers éléments. Il faut que cela décante encore, mais je suis revenue avec beaucoup d’idées grâce à l’expérience de Solan partagée avec nous.

D’autre part, la rencontre avec les membres de Terre&Humanisme  et de l’Association des Amis de Solan nous a fait toucher du doigt la richesse des liens que les sœurs ont tissé avec ces hommes et ces femmes de bonne volonté. L’écologie permet de rassembler des personnes de tous horizons, et lorsqu’elle est vécue sans idéologie, grâce au réalisme auquel nous contraint le travail de la terre, de souder vraiment les hommes entre eux et pour une cause qui les dépasse, dans le respect de la diversité des convictions. » (Hautes-Alpes)

 

 « La session et les contacts qui ont suivi nous ont beaucoup encouragées et ont permis d’allumer cette petite étincelle pour démarrer les travaux ; jeudi nous allons chercher du compost qui nous a été donné et mercredi après-midi des scouts routiers viennent étaler le fumier : alors nous avançons petit à petit. […] Dimanche, une paroisse vient nous écouter sur l’agroécologie : petit à petit les mentalités vont changer… » (Bouches-du-Rhône)

 

« Peu de paroles, mais un geste éloquent en décembre … l’achat d’une grelinette ! » (Gard)

La suite ! La suite !

Au cours de la session de novembre 2018, Valo Dantine avait évoqué ses expériences avec la Lifofer : Litière forestière fermentée. Ce préparat retint toute notre attention,  car il venait étayer l’intuition que « Solan peut soigner Solan », autrement dit, qu’il est possible de soigner un sol avec des ressources locales.

Le principe est de fabriquer soi-même, à partir des champignons qui se sont installés dans un humus entièrement naturel, recueilli dans la région où l’on veut ensuite l’utiliser, un produit nourrissant, stimulant, curatif, à répandre sur le sol. Ce sont des micro-organismes vivants, en plein dynamisme qui seront ainsi répandus sur le sol.

C’est ainsi que deux journées espacées d’un mois, du 4 avril et du 17 mai 2019 furent organisées pour découvrir la Lifofer. L’enseignement dispensé au cours de ces journées fut encore le fait des animateurs de Terre & Humanisme.

Pour des raisons de contraintes de dates ou de distance, de tous les participants seules les sœurs de Jouques purent se libérer pour venir. Ce fut le début pour Solan, d’une démarche définitive et fructueuse de travail avec de la Lifofer et, par la suite, des extraits fermentés de diverses sortes (en 2024, plus de 3000 litres d’extraits fermentés furent épandus sur le domaine !).

Par ailleurs, comme à la suite de la semaine de 2018 d’autres communautés se montrèrent intéressés, nous organisâmes une nouvelle session d’initiation du 4 au 8 novembre 2019. Y participèrent :

  • Abbaye Notre Dame de Fidélité de Jouques, qui envoya de nouvelles sœurs œuvrant dans d’autres cultures ;
  • Monastère de la Dormition de la Mère de Dieu, à La Faurie, Hautes-Alpes (orthodoxe) ;
  • Monastère St-Jean Baptiste à Maldon, Angleterre (orthodoxe) ;
  • Monastère dell’Assunta Coronata, Italie (famille monastique de Bethléem) ;
  • Communauté Eucharistein Var, (Association de fidèles, catholiques),
  • Monastère boudhiste Bodhinyanarama à Tournon, Ardèche ;
  • enfin un laïc impliqué dans une ferme du Var… et Solan.

Le programme était semblable à celui de 2018, et la session s’avéra très fructueuse pour tous les participants.

Une session de perfectionnement

Pendant ces années, celles et ceux qui avaient participé à une des sessions mettait en pratique les apprentissages… qui généraient de nouvelles questions ! Alors, en 2022 – après la « pause Covid » – une session fut organisée, exclusivement à l’attention de ceux qui avaient déjà participé à une des deux formations précédentes.

Comme les deux premières, elle fut dispensée par des formateurs de Terre &Humanisme et financée par le Fonds de Dotation Pierre Rabhi et l’Association Les Amis de Solan.

Étaient présents :

  • Les Abbayes bénédictines de Notre Dame de Fidélité à Jouques (Bouches du Rhône) venue en force avec trois sœurs, et Notre Dame de Miséricorde, à Rosans (Alpes de Haute Provence) ;
  • Monastère bouddhiste Bodhinyanarama, Tournon (Ardèche) ;
  • Le Carmel d’Uzès, tout près de chez nous ;
  • et les Monastères orthodoxes de La Faurie (Alpes de Haute Provence)… et Solan, en force aussi.

 

Toutes ces communautés avaient donc déjà participé à au moins une des deux formations (2018 ou 2019) et ont une pratique maraîchère. Du côté de Terre et Humanisme également, les pratiques avaient évolué, avec l’accompagnement de Miguel Neau sur les plantes bio-indicatrices, et la formation à la méthode Hérody d’analyse de sols.

Ce fut de nouveau une semaine riche en échanges et apprentissages.

Actuellement, chaque participant met tout cela en pratique, dans le coin de terre que le Seigneur lui a confié, et engrange bien sûr plein de questions en vue d’une session à venir, si Dieu nous prête vie.

Nous rendons grâces de tout ce qui a pu se faire jusqu’à présent, dans notre vie ici à Solan, comme aussi dans tous ces lieux où des âmes assoiffées de Dieu se réunissent pour Le chercher et où elles prennent soin de la création, magnifique don de l’Artisan de l’Univers, qui promet de nous faire participer à Sa vie.

Monastère de la Protection de la Mère de Dieu

Solan, Gard – Mars 2025

[1] Suite à l’appel du Patriarcat de Constantinople en 1989, cette journée est organisée chaque année depuis 1995, en collaboration avec l’Association Les Amis des Solan, fondée par Pierre Rabhi et le Monastère.


Toutes les photos des sessions de formation nous ont été transmises par le monastère de Solan.

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